4 - Ça coule ou ça colle ?

Sliding or sticking - english version

Nous avons vu dans mon 2e billet que, sous l'impulsion d'un skieur par exemple, la couche fragile peut s'effondrer en une zone instable et glissante. La taille de cet effondrement est en général supérieure à la distance critique d'instabilité (définie dans mon 1er billet), qui est de quelques dizaines de cm. Et donc cette "fissure basale" va s'étendre rapidement sous toute la plaque, qui devrait alors partir en avalanche. On se demande alors pourquoi tant d'effondrements ne se traduisent que par un "whumpf", sans déclenchement !

Dans mon 2e billet, je parlais du givre de surface qui donne une glisse incomparable quand on fait sa trace en poudreuse. A l'inverse, on sait bien que si on s'arrête quelques secondes dans certaines neiges "chaudes", la neige peut coller "en botte" sous les skis.

Il se passe en gros la même chose lors de l'effondrement de la couche fragile, comme nous avons testé lors d'expériences de terrain. Si on fait une coupe du manteau neigeux et qu'on récupère un peu de neige de la couche fragile avec une pelle, ça casse les liaisons entre les cristaux, qui peuvent alors s'écouler comme du riz sec. Mais si on les laisse une dizaine de secondes dans la pelle, tout se fige ( voir vidéo ci-dessous). Ce comportement peut s'expliquer et se généraliser grâce à un modèle théorique [1], dont les conclusions sont les suivantes:
  • les cristaux de la couche effondrée continuent à s'écouler tant que leur vitesse d'écoulement est suffisante, car ils ne restent pas assez longtemps en contact mutuel pour pouvoir se ressouder.
  • si cette vitesse devient inférieure à un seuil (fonction de la température), leur temps de contact, plus long, leur permet de se ressouder. La zone effondrée commencera à s'étendre, mais seulement pendant quelques secondes, puis se figera par coagulation des cristaux.

Qu'est ce qui détermine cette vitesse d'écoulement, et donc la vitesse de déplacement de la plaque et le départ éventuel de l'avalanche? C'est d'abord évidemment la pente et le poids de la plaque, mais aussi les ancrages de la plaque en périphérie.

Si on prend une plaque très vaste, dont les ancrages périphériques n'auront pas beaucoup d'influence, la zone effondrée s'étendra rapidement sous toute la plaque si elle est suffisamment lourde et si la pente est suffisante. Cela pourra conduire à l'ouverture de la fissure sommitale, comme on le verra dans mon 5e billet. Dans l'article cité en référence [1], j'ai pris comme exemple des valeurs typiques pour la résistance de la couche fragile (480 MPa) déterminée à partir de tests PST, et pour la densité de la plaque (300 kg/m3) et son épaisseur (40 cm). Dans ce cas, la zone effondrée devient instable à partir d' une pente de 28 degrés. On peut facilement refaire le calcul en changeant les valeurs de ces 3 paramètres, ce qui change la valeur de la pente critique, dans une plage en gros entre 20 et 45 degrés.

Si une telle plaque est de surface plus faible, et confinée dans des affleurements rocheux, les conditions précédentes ne suffiront pas à la déstabiliser, car les affleurements limiteront sérieusement la vitesse d'écoulement initiale. Les skieurs responsables de l'effondrement entendront un whumpf, ressentiront peut être un affaissement, mais rien d'autre ne se passera.

Les différentes étapes du déclenchement sont détaillées dans le billet no5, depuis l'initiation de la fissure basale jusqu'à l'ouverture de la sommitale, en regardant à chaque fois comment le processus amorcé peut avorter, ou bien continuer jusqu'au déclenchement final.

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