3 - Jouer aux automates pour comprendre les mécanismes de déclenchement

Playing with cellular automata - english version

Non, ce n'est pas parce qu'on s'intéresse aux avalanches que j'ai envie de vous parler du jeu de la vie ! Ce "jeu" est en fait ce qu'on appelle un automate cellulaire. Ça se présente en général comme un damier dont les cases (ou cellules) évoluent selon des règles préétablies. Voir par ex. le jeu de la vie.

Nous avons construit un tel automate [1] pour mieux comprendre les mécanismes de déclenchement des avalanches de plaque. Le damier représente, vus de dessus, à la fois la plaque et la couche fragile qui s'est formée en dessous de la plaque. On introduit deux règles de rupture locale. La première concerne la rupture de la couche fragile (rupture basale), la seconde la rupture sommitale de la plaque elle-même (crown crack).

Au départ, chaque cellule du damier est dans le même état de charge. On fait ensuite "neiger" au hasard sur chaque cellule, dont la couleur (représentant la charge exercée par la cellule sur la couche fragile) passe de bleu foncé à bleu clair, vert, jaune puis rouge (video 1). Une cellule passe au rouge lorsque sa charge atteint un seuil de rupture choisi à l'avance: elle casse alors, et la charge qu'elle supportait (et qu'elle ne supporte plus) est redistribuée sur ses voisines. Si l'une de ces voisines était déjà jaune (très proche du seuil), elle passe elle aussi au rouge, casse à son tour et redistribue sa charge aux autres, et ainsi de suite. C'est la même chose que dans un effondrement de dominos. Si on en restait là, on arriverait à ce qu'on appelle un état critique (comme dans une réaction nucléaire qui "diverge"), la rupture s'étendrait à tout le damier, et on n'apprendrait pas grand'chose sur le déclenchement.

C'est là qu'intervient le deuxième type de rupture. En plus de la charge exercée par chaque cellule sur la couche fragile, le logiciel examine aussi les tensions entre cellules voisines (c'est-à-dire à l'intérieur de la plaque). Lorsque ces tensions atteignent un 2e seuil choisi à l'avance, les cellules concernées se séparent, ce qui crée un germe de fissure sommitale. Après un certain nombre de pas, la fissure sommitale s'ouvre, et l'avalanche se déclenche (video 1).

On retrouve dans ces simulations les instabilités décrites par le critère de Griffith, que j'avais discutées dans mon 1er billet.

Sur la simulation, on peut voir clairement la zone de départ et mesurer sa taille. En faisant tourner la simulation un grand nombre de fois, on peut accéder à une statistique de répartition des tailles des zones de départ. On s'aperçoit que la distribution de taille a une allure très particulière, appelée "loi puissance", en accord avec les mesures de terrain, et très semblable à ce qu'on observe pour les glissements de terrain, les chutes de rochers, et même les séismes (loi de Richter). Cet accord valide le schéma de déclenchement par ruptures de proche en proche, qui se produit en 4 étapes, et qui sera discuté dans mon 5e billet :
  • 1. amorce de rupture de la couche fragile par effondrement local
  • 2. extension de cette rupture si la pente est suffisante
  • 3. amorce de la fissure sommitale par décohésion
  • 4. déclenchement de l'avalanche.

Cet automate cellulaire peut aussi simuler les déclenchements artificiels :

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